
En favorisant les circuits courts, en achetant notre alimentation auprès d’acteurs indépendants, nous pensons tous participer à un système plus durable. Mais qu’en est-il exactement? Quel est l’impact réel des systèmes alternatifs sur la durabilité de notre société? C’est ce que le projet Cosyfood tente de mesurer. Explications avec Isadora, sa responsable au sein de Färm.
De nombreuses enseignes de distribution bio et d’initiatives d’alimentation alternative s’efforcent, jour après jour et chacune à leur façon, de tendre vers un monde de plus en plus durable. Mais comment savoir si ces efforts portent vraiment leurs fruits? C’est à partir de cette question en apparence toute simple qu’est né CosyFood, un projet de recherche lancé en 2015 par Innoviris, l’organisme régional bruxellois de promotion et de soutien à l’innovation technologique.
Dans le soutien qu’Innoviris apporte aux entreprises bruxelloises se retrouvent toute une série de programmes, appelés « actions ». Ces actions embrassent une très large palette de compétences: soutien aux dépôts de brevets, études de faisabilité, projets de développement expérimentaux… Parmi celles-ci, l’action Co-Create soutient « l’exploration, l’expérimentation et la production conjointe de savoirs » avec, comme but, le développement de systèmes résilients, c’est-à-dire durables sur le long terme.
Tout en rompant les cloisons entre le monde académique, les distributeurs et les consommateurs, l’action Co-Create d’Innoviris soutient 16 projets: monnaie citoyenne, potagers urbains, innovation sociale, logistique des circuits courts, habitat mobile… Une ruche d’idées extraordinaires parmi lesquelles on retrouve Cosyfood. Vous pouvez d’ailleurs découvrir tous ces magnifiques projets sur le site de Co-Create.
ENSEMBLE POUR ALLER PLUS LOIN
Depuis 2015, Cosyfood analyse les pratiques de trois distributeurs (très) alternatifs: La Ruche qui dit Oui de Forest, le réseau des GASAP et Färm . Comment évaluer la durabilité de ces trois systèmes très différents? Quelle grille d’analyse appliquer sur ces trois réalités de terrain? Comment mesurer le changement que ces trois initiatives veulent porter dans notre société?
Pour y répondre, chaque organisation est considérée comme co-chercheur. Associées à l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire de l’ULB, elles analysent ensemble la durabilité des systèmes alimentaires alternatifs.
Au sein de Färm, c’est Isadora Meersseman qui est responsable du projet Cosyfood. «L’idée est vraiment née de ce simple constat: il existe un nombre important d’initiatives autour de l’alimentation durable, mais il est très difficile d’évaluer la durabilité de ces initiatives. Dès lors, il était légitime de se demander ce qu’elles avaient en commun ou encore quels étaient leurs critères de durabilité. On a voulu réunir les différents acteurs pour nous évaluer, prendre du recul, analyser nos pratiques et notre cohérence à tous par rapport au projet qu’on défend et à notre vision de ce qu’est une société résiliente, durable.»

LA BOÎTE À OUTILS DU FUTUR
La question de départ était «qu’est-ce que la durabilité d’un système de distribution alimentaire, par quelles pratiques se concrétise-t-elle?» Une question théorique à transposer à la réalité de terrain à travers la mise en place d’une véritable boîte à outils, pour évaluer la durabilité de différentes manières. «Le but est, grâce à ces outils d’évaluation, est de savoir si chacun des systèmes atteint les objectifs de durabilité qu’il s’est fixé, de connaître ses points d’amélioration et enfin, d’imaginer des comparaisons entre systèmes pour en tirer un apprentissage et nous améliorer chacun», ajoute Isadora.
Pour développer les outils, chaque co-chercheur a fait appel aux producteurs, aux consommateurs, aux travailleurs : un véritable travail d’équipe.
QUI DIT BOÎTE À OUTILS DIT OUTILS
Les outils développés par Cosyfood sont aussi bien des outils transversaux, utiles à toute la filière, que des outils spécifiques à chacune des structures. Pour construire le premier de ces outils transversaux, appelé PCI pour « Principes, Critères et Indicateurs« , chaque co-chercheur a fait appel aux producteurs, aux consommateurs, aux travailleurs. C’est ainsi qu’Isadora a organisé en 2016 une consultation au sein des magasins färm. Une fois finalisé, cet outil permettra d’évaluer les filières de distribution dans leur ensemble.
Ensuite, Cosyfood développe un autre outil, appelé ACV pour Analyse du Cycle de Vie. Cet outil-là permettra de mesurer, pour certains produits distribués par chacune des filières (notamment la carotte, la laitue, le pain, le fromage), leur impact social et environnemental complet, tout au long de la vie de ces produits, de leur apparition au champ à leur disparition dans nos assiettes ou, hélas, parmi nos déchets (ce que personne ne souhaite, bien entendu).
A côté de ces outils transversaux, Cosyfood développe également des outils propres à chacune des structures: un système de garantie participative pour le réseau des GASAP, et une grille de sélection des producteurs pour La Ruche qui dit Oui de Forest. Quant à färm, ses magasins hériteront d’un guide d’optimisation de la gestion des déchets, et de recommandations pour inclure des critères sociaux dans ses cahiers de charge de production à destination des producteurs.
COMPARER LES PRATIQUES POUR PLUS DE COHÉRENCE
Färm, La Ruche qui dit Oui de Forest et le réseau des GASAP ont associé leurs forces pendant trois ans autour de ce projet. «On a pu échanger, apprendre les uns des autres. On se complète, on n’est pas l’un contre l’autre. Chacun a ses spécificités et son public. Et surtout, pour tous, la durabilité est un objectif important. C’était super de prendre un peu de recul sur nos pratiques quotidiennes. Du côté de Färm, Cosyfood nous permet d’agir de manière plus cohérente par rapport à l’idéal qu’on a, de prendre le temps d’analyser notre système dans son ensemble», confie-t-elle.
Et à l’avenir? La boîte à outils sera bientôt disponible à tous, pour une transparence totale depuis le producteur jusqu’à l’assiette. «Cosyfood n’est pas prêt de s’arrêter puisque nous avons commencé à dialoguer avec les personnes en charge du programme Good Food (la stratégie régionale pour un système alimentaire durable en Région Bruxelloise), pour que celui-ci puisse s’appuyer sur le travail de critères et d’indicateurs de durabilité que nous avons réalisé pour les labels qu’elle met en place. L’objectif à long terme est de faire vivre le projet au-delà de nos propres systèmes. On aimerait inspirer d’autres acteurs du monde de l’alimentation, et pourquoi pas les institutions. C’est important que les autorités en la matière soutiennent les bonnes initiatives et soient vigilantes face à la possible récupération pseudo-durable des grosses chaînes de l’agro-alimentaire», conclut Isadora.
