Signe d’un changement des mentalités, le terme « durabilité » est de plus en plus présent dans nos sociétés. Utilisé comme argument marketing, le concept est parfois réduit à une simple justification « green » aux discours économiques. La durabilité est pourtant décisive pour envisager l’avenir. Ensemble, essayons d’y voir plus clair…
La question de la durabilité est vaste et complexe. Vouloir la simplifier, c’est déjà se tromper. Nous allons néanmoins essayer de comprendre ce que sous-tend ce concept. Par où commencer ? Peut-être par les bases, et un petit plongeon dans l’Histoire.
Dès la seconde moitié du XXe siècle, la multiplication des crises écologiques et de leurs conséquences sur les sociétés humaines a éveillé les consciences de plus en plus d’individus et de citoyen·ne·s du monde entier. Ceux-ci ont réclamé une prise en compte de l’environnement et de la justice sociale par les gouvernements. La communauté internationale a alors été confrontée à la nécessité de trouver un modèle économique qui permette d’assurer les besoins de la population sans détruire l’écosystème.
Le rapport Brundtland, officiellement intitulé Notre avenir à tous, rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations Unies a été utilisé comme base au Sommet de la Terre de 1992. C’est dans ce rapport que le développement durable est défini pour la première fois comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »
Les trois piliers
Malgré les sonnettes d’alarme des scientifiques, nous continuons d’épuiser les ressources naturelles, de creuser les écarts de richesse, de mettre en péril l’avenir des génération futures. « Dans le cas d’un réchauffement climatique de 1,5 °C, et plus encore dans le cas d’un réchauffement de 2 °C, les impacts négatifs sur la santé, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau, la sécurité humaine et la croissance économique vont augmenter par rapport à aujourd’hui », préviennent les experts du GIEC. Lire les scientifiques est à la fois terrifiant et absolument énergisant. Nous n’avons d’autre choix que de passer à l’action, de changer nos habitudes et ce, radicalement.
Contrairement au développement économique, le développement durable est un développement qui prend en compte trois dimensions : environnementale, sociale et économique. La particularité du développement durable est de se situer au carrefour de ces 3 piliers.
Nous avons rencontré François Lohest, qui a travaillé à L’ULB sur les questions de durabilité des systèmes alimentaires alternatifs, et a coordonné le projet CosyFood sur lequel nous reviendrons plus loin. « L’approche mainstream crée toujours des compromis entre enjeux écologiques, sociaux, économiques. Chacun·e tire là où ça l’arrange. Si chacun·e donne son interprétation, le concept perd de son utilité.
Aujourd’hui, quand on parle de « durabilité forte », une approche plus radicale est envisagée, la durabilité n’est plus perçue comme l’intersection, mais comme une hiérarchie, l’environnement qui englobe le social qui englobe l’économie», introduit-il.


Consommer responsable
Pour les citoyen·ne·s, consommer responsable est un choix au quotidien. La durabilité exige un changement en profondeur. Chaque geste, chaque produit a un impact sur les acteurs·rices de la chaîne et entraîne des changements de pratiques. «Dans la durabilité, les éléments sont tous interdépendants. Il est intéressant de se demander : « Qu’est-ce que je veux changer ? Qui je veux aider ? »
Chaque produit a une histoire ; soit on pose une action pour soi, soit on pose une action pour soi et pour les autres. Ces questions permettent à titre individuel de faire évoluer ses propres pratiques de consommation », éclaire François Lohest.
À Bruxelles comme ailleurs en Europe et dans le monde, de nombreux projets d’alimentation durable et alternative voient le jour. De 2016 à 2019, à travers le projet CosyFood et via l’action Co-Create d’Innoviris, Färm, le réseau des Gasap et La Vivrière (qui gère La Ruche qui dit Oui de Forest) se sont associés à l’Université Libre de Bruxelles autour d’une question «Les systèmes alimentaires alternatifs sont-ils durables ? »
« En réunissant des acteurs très différents, on a fait croiser le savoir qui guide chacun de leurs projets. Ils ont tous différentes visions de la durabilité. Et en même temps, ce qui est intéressant, c’est que chacun a eu la possibilité de revoir sa position », explique François Lohest, ancien coordinateur du projet CosyFood.
Les pratiques des trois distributeurs alternatifs ont été analysées et ensemble, ils ont co-construit un outil d’évaluation et un référentiel de durabilité pour définir les éléments à prendre en compte pour avoir un système alimentaire durable. Différentes dimensions ont été abordées, comme la démocratisation, l’équité, la viabilité et les conditions de travail, la perception et sensibilisation, l’accessibilité, le développement du territoire…
« La durabilité, c’est un concept, tout l’enjeu est la largeur de la contrainte au-delà de laquelle on ne peut pas aller. On a réussi à se mettre d’accord sur des balises minimales au-delà desquelles ce n’est pas durable », continue-t-il.
La résilience pour surmonter les chocs
Quand on évoque la question de la durabilité, la résilience entre souvent en résonance. Terme utilisé lui aussi à toutes les sauces (plus que jamais avec la crise du Covid-19), on en oublie parfois sa véritable définition: la résilience est la capacité des systèmes à résister aux catastrophes, aux chocs.
Comme nous l’avons vu, la pandémie a affecté l’ensemble du système alimentaire mondial. Les difficultés d’approvisionnement, le manque de main d’œuvre et ses impacts sur le travail agricole ont compromis la sécurité alimentaire de toutes et tous, et particulièrement des plus vulnérables, souligne le site alimenterre.org. Dans un futur proche, la sécurité alimentaire mondiale pourrait encore rapidement se dégrader. Dans son analyse, le CNCD rappelle qu’avant la pandémie, plus de 820 millions de personnes dans le monde souffraient déjà de la faim et que ce nombre était en progression. Le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies prévoit en effet une hausse d’environ 130 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire aiguë en 2020.
« La résilience des systèmes alimentaires est une question fondamentale. La résilience d’un système quel qu’il soit devrait être une condition nécessaire à sa durabilité. Si la filière au moment d’un choc n’est pas capable d’assumer ses fonctions, elle n’est pas durable », argumente François Lohest. Selon de nombreux spécialistes, la crise du coronavirus pourrait être une opportunité pour repenser les systèmes alimentaires.
Agir aujourd'hui pour les générations futures
Nous l’aurons compris, la durabilité n’est pas quelque chose de figé. « C’est un processus avec ses balises, ses contraintes, son horizon. Le concept peut être continuellement redéfini quand les objectifs sont atteints », insiste même le spécialiste.
Le développement durable doit être co-construit à chaque instant. S’il est si complexe à définir et impossible à simplifier, c’est parce qu’il porte en lui la force que chacun·e décide d’y mettre.
Et maintenant, comment agir ? On peut limiter sa consommation d’énergie drastiquement, vivre plus sobrement, manger local et limiter ses déchets au maximum.
Nous sommes aujourd’hui responsables du monde de demain. Les jeunes qui descendent dans les rues pour le climat l’ont bien compris et essayent de se faire entendre vaille que vaille… Sans véritables politiques, l’objectif de maintenir le réchauffement climatique sous les 2°C de la COP21 semble improbable. Des efforts supplémentaires sont nécessaires, et ce à tous les niveaux, dont l’alimentation. Encore une fois, n’oublions pas, se nourrir de manière responsable est un acte citoyen au quotidien qui a toute son importance.
Le mot de Färm : Changer le monde en mangeant, nous y croyons ! C’est une des raisons pour lesquelles nous avons créé le Färmoscope, afin de vous aider à consommer de façon plus durable, et ainsi à agir concrètement.