Jehanne Bergé enquête chez Interbio

LE GROSSISTE : UN ACTEUR ESSENTIEL DE LA BIO ?

Entre les producteurs et les détaillants, les grossistes bio jouent un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire, mais souvent méconnu du grand public. Bienvenue dans un univers de logistique, où valsent les palettes de légumes, les caisses de marchandises et les produits en tous genres.

Le rendez-vous est fixé à 15h. Après avoir pris un train, puis un autre, terminé la route à vélo, nous voilà à Sombreffe. Face à nous, un vaste entrepôt, des camions, un va-et-vient permanent. C’est sûr, nous nous trouvons à la bonne adresse : Interbio, le premier distributeur bio en Wallonie.

André Lefèvre est le maître des lieux, il nous accueille ; derrière ses lunettes rondes, son regard est vif. Avant de devenir « le boss », l’homme a eu plusieurs vies, il raconte : « J’étais prof de math et directeur d’école. J’ai rencontré Léon Baré, pionnier du bio, c’est lui qui m’a parlé de cette agriculture alternative et de la biodynamie enseignée par Rudolf Steiner. Avec mon épouse, j’ai démarré une petite entreprise de maraîchage de 30 ares, j’ai donc commencé à faire pousser des légumes bio il y a 40 ans, tout en continuant ma carrière dans l’enseignement ».

Il y a 40 ans ! Nous voilà donc face à l’un des précurseurs du bio en Belgique. Pas rien ! « Oui, la reconnaissance bio n’existait pas encore. On a d’ailleurs travaillé avec Blaise Hommelen, devenu directeur de Certisys (organisme de contrôle et de certification des produits biologiques, NDLR), mais aussi avec les politiques pour faire reconnaître le bio.»

À l’époque, tout était à faire, à inventer. André Lefèvre et les autres producteurs wallons amoureux du bio vendent alors leurs légumes sur des marchés artisanaux et alternatifs. Assez vite, ils commencent à s’organiser et Philippe Pluquet fonde en 1987 une plateforme de commercialisation de produits bios : Biomarché. Ce premier grossiste de fruits et légumes bio en Wallonie, fait ainsi le lien entre les producteurs et les magasins.

Le juste prix aux producteurs

Après des hauts et des bas, en 2009, Biomarché est à remettre, André Lefèvre décide de reprendre le flambeau, et revêt une troisième casquette, celle de grossiste, en plus de celles d’enseignant et de producteur. À voir son énergie, il n’y a pas d’âge pour se lancer dans un nouveau métier… « Il y a 11 ans, on a lancé le GPFL (Groupement de Producteurs de Fruits et Légumes) – Bio, et puis c’est devenu Interbio. On a créé l’entreprise avec un esprit de producteurs. Notre principe est de proposer un prix au consommateur le plus bas possible, à condition que le producteur soit payé correctement. »

La question de la rétribution aux producteurs est évidemment cruciale.  Les grossistes sont parfois perçus comme les « intermédiaires » qui font pression sur les producteurs. La réalité est bien plus complexe. Benoit Georges est un expert du monde agricole, il tient par ailleurs un site d’actualités agricoles, il nous éclaire : « Si on produit un tout petit peu trop de pommes de terre, le prix chute directement, si on en produit un tout petit peu trop peu, il augmente en flèche. C’est le problème de tous les produits alimentaires de base. La question, c’est comment calibrer pour que l’offre soit égale à une demande afin que le producteur ait un prix juste et le consommateur un prix raisonnable. Il y a toute cette philosophie de prix juste qui a été développée par le collège des producteurs (le prix juste couvre les coûts de production de l’agriculteur ET lui assure une juste rémunération, NDLR) »

Dans la grande distribution, certaines pratiques peuvent être clairement nuisibles. Le rapport de force est souvent en défaveur de l’agriculteur. Le prix est calculé à la baisse. Dans la bio, le respect des producteurs fait partie de la philosophie. Tous les grossistes que nous avons interviewés nous ont clairement précisés qu’ils ne négociaient pas les prix.

Biofresh, grossiste basé en Flandres, est un autre des précurseurs du bio en Belgique ; le projet de base est né dans les années 80. L’entreprise est aujourd’hui très importante dans notre pays, avec ses 9000 références et 400 fournisseurs : « Il y a des producteurs avec lesquels on a une collaboration depuis des années et des années. A chaque nouvelle collaboration, on va avoir un rendez-vous, le producteur va livrer des échantillons. On va voir quelles sont ses possibilités, les nécessités pour l’année prochaine, ça doit être une situation win-win pour les deux parties. C’est important pour nous de favoriser les produits locaux, bio, durables, le bien-être des animaux. On prend en considération la réalité des producteurs », commente Chris Vanderstraeten, responsable des achats chez Biofresh.

À chacun·e son métier

Il est important de rappeler que la production, la transformation et la commercialisation sont trois métiers différents. Le rôle du grossiste est d’acheter en grande quantité au producteur, transformateur ou revendeur, et de vendre des produits aux détaillants, ce qui permet à ceux-ci de bénéficier d’un prix inférieur à celui de l’achat d’articles uniques. Les grossistes ont besoin d’une trésorerie importante, ils exercent un métier de l’ombre, mais ce sont eux qui sélectionnent les bons produits, garantissent la traçabilité et la qualité et livrent les magasins, les restaurants, les collectivités à travers tout le pays.

En travaillant avec des grossistes, les producteurs limitent l’incertitude de l’écoulement de leur production et peuvent avoir des engagements sur la durée, les volumes, les prix.

 « En tant que détaillant, travailler sans grossiste, tu peux le faire quand tu as trente magasins et que tu proposes 250 produits, mais si tu multiplies les références, tu ne peux plus le faire. Par exemple, comment faire si tu veux des noix du Brésil, des cacahuètes d’Egypte, des noix de pécan d’Afrique du Sud ou des raisins de Corinthe ? C’est impossible de s’approvisionner en direct de tant de références, surtout lointaines. Il y a la question des volumes, du transport, de la livraison. En travaillant avec des grossistes, le magasin a un intérêt financier grâce à l’économie d’échelle, il gagne du temps et aussi de l’espace de stockage. Ecouler une palette de pâtes ça va, mais une palette de câpres c’est autre chose… Il y a toujours eu des grossistes, des intermédiaires, des spécialistes de produits, et aussi de régions », commente Nicolas Ottart, de Bionaturels, spécialiste de produits grecs en circuit court.

A chacun·e sa réalité

La question que l’on se pose tou·te·s : est-ce rentable pour les agriculteurs de passer par un grossiste ? Encore une fois, la réponse est complexe. À chaque exploitation, sa réalité. Mais quand on a de gros volumes, travailler sans passer par un grossiste relève presque de l’impossible.

Selon André Lefèvre, la clé est la professionnalisation des producteurs bio. « Encore récemment, un producteur me disait : « j’ai 50 ares de pommes de terre, je voudrais vous les vendre, mais j’en veux 1€20 le kilo. » Je lui ai dit de les vendre, mais pas ici. On est un intermédiaire, et donc nous sommes bien plus bas… Ce n’est pas rentable pour lui, parce qu’il les a peut-être plantées à la main. L’agriculture biologique, ce n’est pas l’agriculture de nos arrière-grands-parents, c’est l’agriculture de demain. »

Moderne, mais résolument locale, l’entreprise Interbio défend les producteurs wallons. « Par exemple, les Hollandais ont plus de facilité à cultiver des oignons sur leurs terres sableuses que nos producteurs sur leurs terres argilo-limoneuses ; les oignons wallons coûtent donc plus chers que les hollandais, pourtant, nous favorisons la production locale. C’est un choix politique et philosophique.»

Comment font les petits producteurs qui travaillent sur une petite parcelle ? Pour eux, la meilleure option est donc la vente directe. À chaque production, sa réalité, mais le circuit court peut parfois être compliqué, tant au niveau du prix, (ça coûte plus cher parce que la surface est plus petite et il y a plus de coûts annexes) qu’au niveau humain, la vente demande du personnel, on ne peut être en même temps au champ et au marché.

Chez Interbio, en onze ans, l’affaire a évolué à vitesse grand V. « J’ai commencé avec deux personnes, maintenant, on est soixante », commente « le boss ». Les métiers sont répartis en trois secteurs : la préparation des commandes, les chauffeurs et le travail de bureau. Interbio compte 200 références fruits et légumes et plus de 1000 produits « épicerie » qui vont de la bière au pain en passant par la viande et les pâtes… Et donc, derrière tous ces produits, se cache une multitude de collaborations avec des producteurs, en Wallonie surtout, mais aussi à l’étranger, en Italie par exemple. Et de l’autre côté, environ 400 clients (les magasins) répartis en Wallonie et à Bruxelles.

Tout cela demande une fameuse logistique. Dans « l’espace in », les camions débarquent les palettes de produits qui vont être rangées et dispatchées à l’arrière où les commandes sont préparées et distribuées pendant la journée, en soirée et pendant la nuit. Trois séries de livraisons sont assurées par jour. Résultat, sur place, nous observons une joyeuse valse d’employé.e.s chargé.e.s de palettes ou de caisses. On se croirait un peu dans Charlie et la Chocolaterie version légumes bio.

À côté de nous, sur un chariot, les commandes qui partiront dans plusieurs magasins Färm. Des choux, des épinards, de poivrons, des pommes de terre… Des produits venus des champs, arrivés aux hangars, bientôt rangés dans les rayons… pour finir dans vos assiettes ! Et à chaque étape, la passion de différents métiers, de différentes personnes : producteurs, transformateurs, grossistes vendeurs… Chaque produit son histoire, son chemin à 100% traçable, passionnant non ?

Sur ce, bonne année et bon appétit !

Pendant notre visite, nous tombons sur des palettes destinées à... Färm Globe, Färm LLN et Färm Meiser !

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