Le 24 avril 2013, à Dacca, au Bangladesh, un immeuble d’ateliers de confection textile, le Rana Plaza, s’effondre et cause la mort de 1138 personnes. Ce drame ouvre alors les yeux du monde sur les conditions de travail des ouvrier·e·s qui se cachent derrière nos vêtements. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #WhoMadeMyClothes est créé pour interpeller les marques. En 2014, en hommage aux victimes de la catastrophe, le 24 avril, nait officiellement la Fashion Revolution. Les objectifs de cet événement sont la défense des droits des travailleurs à l’international et la demande de transparence des marques. Le mouvement est aujourd’hui présent dans 80 pays. « Nous aimons la mode. Mais nous ne voulons pas que nos vêtements exploitent les gens ou détruisent notre planète. Nous exigeons un changement radical et révolutionnaire », explique le collectif international d’expert·e·s et de citoyen·ne·s dans son communiqué.
La Fast Fashion, la démesure absolue
Dès le début des années nonante, l’ouverture d’enseignes comme H&M et Zara, a complètement chamboulé l’industrie de la mode. Depuis 1996, la quantité de vêtements achetés dans l’UE par personne a augmenté de 40 %.
Qui ne pousse jamais la porte d’une enseigne fast fashion ? Qui ne craque jamais pour une pièce par pulsion plus que par nécessité ? Celles et ceux qui restent complètement insensibles aux outils marketing de la mode à bas prix sont peu nombreux·ses. Alors oui, c’est clair, le prêt à porter à prix cassés a démocratisé la mode, mais les conséquences sont dramatiques. Toujours plus de collections, toujours plus de fringues, des prix toujours plus bas, et ce au détriment des conditions de vie de celles et ceux qui les fabriquent.
Et la qualité ? Dans la logique du marketing de la Fast Fashion, ce qui compte, ce qui importe, c’est le sentiment positif apporté par l’acte d’achat. Alors si la qualité est médiocre, finalement… ce n’est pas un problème. On jette et on rachète. Et les volumes augmentent, encore et encore.
Selon les chiffres du Parlement Européen, on estime que la production textile est responsable d’environ 20 % de la pollution mondiale d’eau potable, à cause des teintures et autres produits de finition. Elle est aussi responsable de 10 % des émissions mondiales de CO2, soit plus que l’ensemble des vols et transports maritimes internationaux. Niveau déchets, en Europe, 87% des vêtements usagés sont incinérés ou mis en décharge.
Des chiffres qui donnent le tournis. Heureusement, ça bouge quand même un peu au niveau des institutions, car oui, les enjeux autour de la mode sont immensément politiques. D’ici 2025, les pays de l’UE seront obligés de collecter séparément les textiles. En février 2021, le Parlement a voté en faveur du plan d’action pour l’économie circulaire et a appelé à des mesures supplémentaires pour atteindre une économie neutre en carbone, durable, non-toxique et entièrement circulaire d’ici 2050.
La difficulté du traçage
Le documentaire de la réalisatrice belge Stéfanne Prijot La Vie d’une Petite Culotte et de Celles qui la Fabriquent nous fait découvrir la réalité des femmes qui travaillent dans l’ombre des industries du textile.
Pour être produits, nos habits passent de main en main, de pays en pays. A travers l’histoire d’une petite culotte, le film nous emmène dans l’intimité de la vie de cinq personnes, maillons d’une chaîne de production mondiale bien opaque.
C’est parce qu’elle a grandi dans le magasin de vêtements de sa maman que Stéfanne Prijot a voulu creuser la thématique. « Le textile, c’est un sujet dont je me suis toujours sentie très proche. Plus tard, j’ai découvert les conditions de travail des ouvrières : le manque d’éthique, les souffrances du travail à la chaine. Ça m’a donné un autre rapport aux habits, j’ai commencé à ne plus les plier plus de la même manière. J’ai vraiment eu envie de savoir comment ils étaient fabriqués. »
La jeune femme a travaillé chez Good Planet pendant 7 ans. C’est en côtoyant les plus jeunes, qu’elle a décidé de faire ce film. « J’ai proposé une animation sur le textile dans les écoles. Ce n’était pas dans le programme, mais je l’ai amenée par envie de sensibiliser les élèves à la question. J’expliquais toute la chaine de production et souvent à la fin je leur demandais ‘est-ce que finalement les vies ont toutes la même valeur ?’ Et là ça n’allait pas, ils tenaient des propos très déshumanisés, ça leur semblait très loin alors que nous sommes tou·te·s lié·e·s. J’ai eu envie de mieux comprendre et connaître les personnes qui sont derrière ces machines. Aussi, j’ai fait ce film parce que je cherchais de chouettes documentaires à montrer aux jeunes et tout ce qu’il y avait, c’était The True Cost ou des reportages TV avec des faits, mais une vision parfois déshumanisée. »
A la fois informatif et humain, le documentaire La Vie d’une Petite Culotte et de Celles qui la Fabriquent rend compte de l’opacité de l’industrie de la mode. « C’est très différent de l’alimentation. Les fringues, c’est intraçable. Déjà, du coton, on n’en a pas par ici, c’est vraiment compliqué de remonter la chaîne… »
Gare au greenwashing
Grâce à la sensibilisation réalisée par des personnes comme Stéfanne Prijot et au changement d’habitudes de consommation, depuis quelques années, les choses bougent du côté des podiums. De plus en plus de nouveaux acteurs et actrices débarquent sur le marché avec une véritable vision éthique et écologique. Mais entre les discours greenwaching et les projets de valeurs, s’y retrouver est parfois un peu compliqué.
WeCo Store s’est donné comme objectif de sélectionner des vêtements de qualité au processus de fabrication le moins impactant pour l’environnement et le plus respectueux des travailleur·se·s. Le concept se décline en un webshop et un corner chez Yuman, c’est là que nous retrouvons Adeline Fery, gestionnaire de la boutique. « Notre but est de sensibiliser les consommateurs aux enjeux du secteur textile. A côté de la vente, on voudrait développer des ateliers, des événements, de la sensibilisation… ».
Dans les rayons, elle range notamment les chemises Mr Manchette fabriquées au Portugal par la Belge An Boone, les robes de la marque allemande Armed Angels qui est un exemple dans le milieu depuis 2007 ou les jeans hollandais Mud Jeans fabriqués à partir de denims recyclés.
« On ne choisit que des marques européennes selon les critères de notre charte. Notre but, c’est de simplifier la vie au consommateur qui a envie de s’habiller plus éthique. C’est très compliqué parfois de démêler le vrai du faux. Il y a beaucoup de greenwashing, de marques qui disent qu’elles sont green et éco, mais qu’est ce que ça veut dire ? Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Il faut un minimum de connaissances pour analyser la transparence. »
Au niveau des indicateurs, le label GOTS garantit un mode de production écologique et socialement responsable. Oeko-Tex, lui, assure que le produit fini ne contient aucune substance toxique, quant à la Fair Wear Foundation, elle collabore avec le secteur pour améliorer les conditions de travail sur l’ensemble de la chaîne.
Il est important de rappeler que production européenne ne signifie en rien bonnes conditions de travail. En Grande-Bretagne et en Roumanie, notamment, il existe des ateliers insalubres où les ouvrières travaillent dans des conditions précaires, et où le rythme de cadences est infernal. D’où l’importance de label comme la Fair Wear Foundation.
« Le fait que les travailleurs soient justement rémunérés, évidemment, ça impacte le prix du vêtement. Aujourd’hui, on a perdu la notion des prix, mais ce ne sont pas les vêtements éthiques qui sont trop chers, c’est la fast fashion qui est trop bon marché. Les pièces qu’on propose sont conçues pour durer, elles ne surfent pas sur une tendance temporaire et psychologiquement comme on dépense plus, on en prend soin, on les entretient », éclaire Adeline Fery.
Création et bons réflexes
Nous avons discuté avec Perrine Bourguignon, jeune créatrice engagée qui a lancé en 2020 sa marque Yseult. La Belge confectionne ses pièces à partir de tissus provenant de fins de stock de grandes maisons de mode dans une optique low waste. Les textiles étant limités, chaque modèle implique une petite production. Et qui dit petites productions, dit grandes difficultés… « A la base, je voulais que ce soit une production 100% belge. Fin 2019, je suis allée trouver une entreprise liégeoise de travail adapté qui fait de superbes finitions. J’ai commencé à faire les prototypes, mais la main d’œuvre était trop chère, mes couts de production étaient trop élevés, j’aurais dû vendre mes pièces comme des produits de luxe. »
A savoir, la délocalisation de la production a entraîné la rareté des ateliers belges. « Ça m’a mis du temps d’accepter l’idée que mon produit ne soit pas 100% local. Finalement, je me suis adressée à une entreprise belge qui accompagne les marques dans le processus de création. On développe les pièces, les patronages ici et ils sous-traitent en Europe. »
Perrine Bourguignon ne perd pas espoir, « A partir du moment où il y a production de quoi que ce soit, il y a un impact, mais oui il peut être réduit ».
Il va falloir s’y faire, les vêtements éthiques et de qualité, cela a un coût. Pour le reste, la seconde main est une bonne solution. Cependant, des applis comme Vinted reproduise la logique ultra-consumériste, si l’idée récup’ est louable, le comportement d’achat impulsif qui y est maintenu mérite réflexion. Et pourquoi ne pas plutôt faire des vide-dressings entre ami·e·s ? C’est sympa, un apéro pour s’échanger des petits hauts ! Il y a aussi les services de location, c’est chouette et ça permet aux fashionistas de changer de tenues régulièrement. Coup de cœur pour Jukebox clothes, qui sélectionne des vêtements sur la base d’une charte construite sur trois axes : esthétique, design durable et potentiel de recyclage en fin de cycle.
Et sinon on peut aussi accepter l’idée d’avoir moins de vêtements et d’en prendre soin, tout simplement…